Neuf partitions s’enchaînent dans quatre lieux successifs les unes à la suite des autres. Elles ont toutes une durée propre de 9 minutes et sont interprétées chacune par un ensemble distinct. Une promenade à l’intérieur d’une écriture musicale, au croisement des sons, des voix, des bruits, une promenade à l’intérieur du cerveau, hors du langage et du sens, au cœur des sens ; écoute intérieure, écoute extérieure.

Chaque parcelle d’un mot, consonne, phonème, bribe de son, trébuchement de voix… n’est pas encore le langage, il le constituera plus tard, lorsque l’esprit aura commandé à la bouche sa construction, son sujet. Dans la grande bibliothèque du cerveau, là où s’épanchent et reposent calmement toutes ces parcelles de mots et de phrases, la palette de toutes les couleurs, du bleu pétrole au vert émeraude, du blanc au noir, le froid et le tiède, le dur, le mou, le lisse, le doux et le fort, la collection de cellules réceptrices prêtes à interpréter tout message sensoriel, les centaines de sons et d’odeurs, là où se promènent les nuages de la mémoire, les grains épars de bribes de souvenirs, les parcelles de réflexes et le stock de réactions inattendues possibles, dans la grande bibliothèque du cerveau, tout est égal, réparti en famille, mélangé ou isolé, les atomes de l’esprit sont encore inactifs ; rien ne fait encore sens, tout attend, prêt à être sollicité, à fabriquer de l’expression, du langage, à percevoir, à communiquer, à échanger, à avoir conscience ! À ce stade très en amont, il n’est pas question d’absurde, nous sommes plutôt à l’orée du sens, nous le précédons, quelques sensations désordonnées s’échangent leurs caprices, leur liberté et leur hasard. Nous sommes dans l’antre du cerveau, à l’intérieur de son architecture intime et minimale, entre les étagères du haut et du bas, à l’écoute des vibrations, des origines de la perception et de l’émission.

Une dame hollandaise chante en fixant l’horizon, un monsieur est entouré de fleurs, de lapins et de guignols, toute seule, des enfants courent sans cesse le long des murs. Le cimbalum est solitaire, un petit garçon a les chaussures qui couinent, le ténor s’élève… les cuivres sont emballés… on croit entendre des éclipses, des voix qui roulent dans les arbres, des centaines de petits chocs cliquettent et se répondent, bredouillent en chœur dans le noir, quelques objets sonores se concentrent, des interprètes dessinent une ligne, toute la matière du monde semble s’échapper de leurs bouches, une jeune chanteuse tsigane rit. Des airs, des souffles, des bulles vibrent au-devant de la soprano qu’un petit chœur anonyme a entourée de soins ; voiles, vocalises et voyelles volent, s’enroulent, petites tasses, udus, kirikikis, timbales, sanza, froissements et longues tenues…

Sans dessus dessous, les pieds dans le vide mais l’esprit aux aguets, la partition tient bon, le cœur exulte, les bois l’encouragent, des mots ne cessent de se superposer ; la claveciniste joue au milieu de la foule des sons et des voix enfin silencieuses, le temps emporte la complexité, l’attire en avant et de proche en proche, l’enroule, la contracte, pour enfin la fondre dans la nuit intime.

 

Ces représentations, réalisées en coproduction avec Châteauvallon et le département de la Seine-Saint-Denis, rassemblent des interprètes des deux régions. Oscillant entre ”théâtre musical” et concert, elles sont spatialisées sur l’ensemble du site de Châteauvallon d’une part, de l’usine Babcock de La Courneuve d’autre part, et scénographiées simultanément dans les chemins, les espaces ouverts et fermés, travaillent l’environnement et l’écoute, promènent l’auditeur dans une foule de partitions visibles ou invisibles, vocales, instrumentales, électroacoustiques… Aboutissement d’un an de recherche en étroite relation avec les interprètes, cette création est aussi l’objet d’un travail de lutherie inédite, associant des objets sonores détournés, des sons tirés du lieu, des bruits divers. Un grand chœur intervient par surprise au détour de l’œuvre.

 

Avec

Première et deuxième partitions : Cyril Hernandez et Alexandre Régis, percussions, Cécilia Bouzard, Naima Benaissa, Francis Lefevre, Christiane Cuquemel, Sylviane Ako, Alain Accard, Mathilde Maes, Wilfried Jaubert, Jacqueline Gautherie, Laurence Fourets, Valérie Lacroix, Martine Vigneron, voix et objets sonores, ainsi que Chrystelle Nouhaud, Karine Roynard, flûtes, Catherine Aizac, Cécile Genard, hautbois, Fabrice Arnaud, clarinette, Florence Lartillot, Jessica Rouault, bassons, François Mariel, euphonium, Sylvain Rouzaud, tuba, Nicolas Chatenet, Carole Lavecot, trompettes, Sylvain Lemaitre, Claude Cuzon, Benjamin Colin, Guillaume Colin, percussions et bandes magnétiques

Troisième et quatrième partitions : Sandrine Rondot, soprano, Maude Gratton, clavecin, Ariane Grajon, violon, Pierre Feyler, contrebasse, Antonin Delfino, voix enfant, ainsi que Michel Campoy, Paula Veenendaal, voix, Suzanne Mascio, chanson, grand ensemble d’objets sonores et bandes magnétiques

Cinquième et sixième partitions : Jean-François Chiama, ténor et Frédéric Petit, violoncelle, ainsi que Iurie Morar, cimbalum et Alain Rolland, bratch et ensemble d’objets sonores

Septième, huitième et neuvième partitions : Pascal Drillon, Delphine Maier, voix, Maude Favennec, saxophone, ainsi qu’Alain Rolland, gardon et Erika Serres, voix, bidon de lait, cuillères, guitare, ainsi que Maude Gratton, clavecin et Iurie Morar, cimbalum.

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