Création sur les apports étrangers présents à travers les siècles dans la culture française : ici comme ailleurs, les notes savantes occidentales se mêlent aux codes extra-européens, des graphismes nouveaux naissent à l’écoute des idéogrammes et des calligraphies de là-bas, une composition de dessins sonores hétérogènes se transforment pour n’en faire qu’UN, un seul dessin : une partition musicale. L’ouïe tendue et la voix en alerte, la musique voyage dans la bouche, dans le larynx, rebondissant d’imprévus effets linguistiques sur la langue, dans le palais, près de la glotte : l’oreille se prête aux sons vocaux des contrées lointaines de notre mémoire ou de notre imagination, ces sons inspirent l’air, le retiennent ou le soufflent avec force, les cordes se tendent et se relâchent, font résonner nos poumons de tous ces échos multiples de l’histoire des effusions humaines.

Chacun de nous porte en lui le temps et la géographie des autres hommes.

Notre culture n’est pas une audition mais multiplication de sources : et cette transformation successive par le mixage savant de l’histoire produit des cultures, des objets, des actes, des réflexes, des idées qui ne cessent de se fondre et de se transformer, de se nourrir et de produire.

Qui compose la France ?

Le moyen de le savoir c’est de travailler trois mois avec 600 interprètes de toutes appartenances dans une prolifération d’espaces d’une même ville, à reconstruire une série de tissus déchirés ou jamais tissés.

Le but évident est d’exprimer cette composition d’une façon à la fois spontanée et savante, dans une œuvre musicale finale, fruit d’une recherche à plusieurs axes. Cette création fut donnée dans la basilique de Saint-Denis le 31 mai 1991, avec, et non, pour un public, décidément actif…

La transversalité c’est ne pas identifier trop vite, ne pas nommer ce qui se voit, mais au contraire regarder ce qui ne se voit pas, regrouper, inventer, traverser, démarginaliser, enfreindre, exiger, mixer, brasser, confronter, affronter, redistribuer :

• Faire en sorte que des enfants ne travaillent pas seuls, et que des adultes ne se passent pas de la proximité des enfants dans l’élaboration d’un travail artistique. Agir au sein de l’infrastructure scolaire, pour des raisons démocratisantes, en relation étroite avec tous les professionnels de l’enseignement. Relier de façon forte l’école et ville entière.

• Engager des professionnels pour répondre à des instants cruciaux de la partition où leur sensibilité, leur virtuosité et leur précision sont indispensables au dialogue dialectique avec les chœurs amateurs, enfants ou adultes, qui eux, seuls, savent chanter comme ils le font, avec cette richesse d’expression, cette évidence d’interprétation, cette énergie phénoménale, existentielle, passionnelle qui leur est propre.

• Mixer les voix ­ solistes, petit chœur, grands chœurs -, mixer les sons ­ instruments, bande magnétique enregistrée ­ créer des profondeurs de champs sonores, des gros plans et des plans lointains, des hors champs,…

• Associer un historien au travail de réflexion musicale et théorique du compositeur, deux univers qui n’ont pas toujours l’occasion de collaborer professionnellement ensemble.

• Écrire une partition musicale en six ou huit langues simultanées : « Sous les notes de musique se profilent des mots, des mots qui s’écrivent à leur façon, avec leur typographie d’origine. Ces mots ici se répondent, se succèdent de manière parfois inattendue, s’entrechoquent ou s’alternent, jouent à se glisser les uns dans les autres, à s’écouter : alors très vite cela n’a plus de sens, les phrases perdent leur contenu, le discours disparaît, les messages laissent la place aux sonorités ; les langues chantent comme des instruments de musique, et, ne voulant plus rien dire du tout, se mettent à parler d’elles, de leur forme, de leur rythme, de leur accent, de leur mélodie intérieure, de leur sensibilité, de leur expressivité, enfin et surtout, de ceux-là mêmes qui les parlent ! »

• Associer quatre chanteurs solistes d’origines différentes : un vietnamien, un palestinien, une algérienne, une française, cultiver leur technique vocale spécifique dans une partition d’aujourd’hui, qui ne procède pas à des emprunts pour évoluer et s’enrichir, pour se transformer.

• Réussir le pari de la mixité du public : un public populaire issu principalement des familles des enfants participants et un public plus spécialiste, local ou bien parisien, et réussir que ce public-là n’en fasse qu’un.

• Ne pas travailler dans les quartiers de banlieue comme une sorte de priorité volontariste, paternaliste et ghétoïsante… ! Mais travailler avec et entre plusieurs quartiers, et reconstituer la ville entière avec tous les enfants qui ne savent plus qu’ils l’habitent ensemble. Appeler simultanément des choristes et des musiciens du département, de la région, de l’étranger. Rencontrer, élargir, transformer, ouvrir, au lieu de chercher à identifier son territoire (concept bien trouble…).

• Pratiquer une musique qu’on ne puisse pas nommer : « Les enfants appréhendent la voix avec humour et gravité : elle est la source de jeux insatiables, de conquêtes, de soupirs, de caresses, de volonté, le terrain de pouvoirs, de dominations, le lieu de silences intérieurs, libre ou imposés, le lieu de rencontres… Les enfants de ces deux quartiers de la Plaine et des Francs Moisins sont attentifs à la portée des non-dits : leur voix cherche à se faire entendre, mais surtout à s’entendre elle-même ; pas forcément pour énoncer des messages, pour revendiquer de l’identité, de quartier ou d’autre chose, mais pour faire écouter, faire sentir, communiquer une façon de composer, d’interpréter, de devenir, d’espérer dans les sons nouveaux, dans les sons collectifs, de se prendre à imaginer une identité nouvelle à venir, qui ne soit pas la somme de chacun, mais la pure invention formidable et contradictoire de la multiplication de tous pas tous ; et chaque fois qu’il sera donné à jouer de la voix, c’est-à-dire du corps, du souffle, de la bouche, de la glotte, du palais, des cordes vocales, des lèvres et du cœur, ils voudront toujours être là, encore ensemble, tous et sans qu’il en manque un seul ! ».

« La musique dit le vrai.

Que nul ne s’égare.

La danse est sans fin. »

Madeleine Rébérioux

Avec les voix de Tran Quang Haï, Houria Aïchi, Ahmad Dari, Marie-Claude Vallin (Vietnam ­ Algérie ­ Palestine ­ France), et, Vincent Segal (violoncelle), Bob Drewry (contrebasse), Keiko Nakamura (percussions), l’Ensemble vocal « Les Jeunes Solistes » (direction : Rachid Safir), l’ensemble vocal initié par « Les Musiques de la Boulangère », un chœur d’enfants rassemblé dans les écoles des quartiers de la Plaine et des Francs-Moisins de Saint-Denis, ainsi que Flûtes : Denis Barbier, Lionel Charley, Catherine Ott, Hautbois : Pascal Lelièvre, Clarinettes : Lucien Aubert, Bernart Dugot, Ghislain Hervet, Bassons : Alexandre Ouzounoff, Pascal Gallois, Trompettes : Fabrice Kastel, Richard Long, Philippe Robert, Cors : Eric Deschamps, Guy Evra, Pierre Jelocha, Jacques Peillon, Trombones : François Lemonnier, Eric Louis, Tubas : Olivier Galmani, Philippe Legris.

Opération ministérielle - "Composition française" - Opération Quartiers-Lumière

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