Sur la résidence
A l'invitation de Radio grenouille, le compositeur Nicolas Frize "entre en résidence" à Marseille. Invité à partager sa méthode de travail, à proposer une dynamique collective, à interroger les pratiques de la radio, il suggère une réflexion menée sur le long terme autour de deux axes principaux : mettre l'oreille au cœur de la vie, au service des thèmes, des métiers, des gens, du lien social, et d’autre part envisager la radio comme espace de "restitution" et de diffusion de ce témoignage sonore.

Il choisit les métiers de la poste comme lieu de travail, d’une part pour ses mutations sociales représentatives d’actuels bouleversements collectifs profonds, d’autre part comme espaces symboliques de ce qui nous relie, de nos diffusions, de nos transmissions, de nos correspondances... Sa matière sonore très contrastée (centres de tri, centres de distribution, guichets, tournées des facteurs) est enregistrée, au plus près des personnels, des gestes, des objets et des machines ; sa trace plonge la radio dans un travail de réflexion sur la mémoire sonore, et les façons de l'écouter, de l'analyser, de la transformer, de la restituer, de la diffuser. En émerge une multitude de modules, de séquences, de fictions, de paysages, mais aussi d’interrogations : en lente et progressive "sédimentation", des réflexions discrètes et successives conduisent la radio des personnels de la poste vers des personnalités extérieures, nourrissent des rencontres improbables, des interviews, des séances thématiques, des ateliers. Des postures de création expérimentées, petites et grandes idées radiophoniques, parlées, sonores, musicales, créées en commun, font peu à peu vivre le sujet, résonner çà et là, de toutes parts, courir un chemin permanent qui traverse la radio dans une présence ludique et résistante, mobile et active, surprenante et nourrie (cela donne lieu par exemple à une quotidienne depuis le 20 janvier, "maintenant" à 6h30 et 17h).

Une radio donne des rendez-vous immatériels sur les ondes hertziennes, une radio donne aussi des rendez-vous physiques et acoustiques : elle rassemble les gens dans des lieux, elle leur fait entendre des bouts du monde, elle compose, elle entraîne des interprètes dans ses sons, elle invente des événements, elle organise des débats, elle se propage… Un soir d’avril, au coeur de la friche la belle de mai, au croisement de l'écoute, de la composition musicale, de la création radiophonique et d’une mise en commun des paroles de chacun, la poste en bandoulière, Nicolas Frize et Radio Grenouille invite nos oreilles à interroger le bien commun.

« maintenant » - Vendredi 21 avril, friche la belle de mai

Le jour et la nuit se succèdent rythmés par les pulsations du travail : certains d’entre nous se chargent de tout pour les autres, au cœur d’institutions publiques, pour transmettre, relier, conduire, emporter et apporter, écouter, offrir, permettre, distribuer, rassembler, faciliter. Ils sont les personnels, ouvriers et employés, de la poste en commun, de l’électricité, de l’eau et du gaz en commun, de l’éducation et de la santé en commun, des logements en commun… des transports en commun ! Cette formidable et originale organisation, qui vise à l’accès de chacun à tous et de tous à chacun d’une part, à la constitution d’un immense bien collectif d’autre part, est devant nous en train de se transformer en profondeur. Pour en ressentir les effets, nous avons pris le parti de venir l’écouter, dans tous ses états, puis de restituer ce qu’elle nous inspire. Ouïr et donc penser comment les messages, les objets, les fluides, les sons, les ombres, les idées et les biens pourraient circuler entre nous au point qu’ils se constituraient à la fois comme un patrimoine, un lieu de mutualisation et de transmission permanent, mais aussi comme un projet, un lieu d’actions et d’émancipations sans cesse possibles.

Bruits fous, paysages sonores subtils, paroles singulières, chants solitaires, grandes fresques collectives, vont et viennent, nous traversent, se transforment dans un atelier fictionnel, intitulé centre de distribution musicale. Nous sommes tous au centre. Au dessus de nous et en nous, la musique et les mots nous composent, dessinent un espace commun, hétérogène et jubilatoire, bienheureux, entièrement destiné à nos oreilles. Il n’y a rien à voir, pour une fois (notre vie n’est qu’une grande image permanente qui bouge tout le temps et sur place), il y a seulement à entendre. Ce qui s’écrit peu à peu, dans le travail et la pensée, n’est rien d’autre que la partition imaginaire d’une vie collective, emplie de cultures, de circulations, de services, c’est à dire, de : public !

Chacun de nous, usager et interprète qui a traversé cette expérience sensible "de concert", est appelé, dans un deuxième temps, à nourrir cette interpellation collective de ses réactions personnelles. La radio, actrice du son vivant, devient actrice de paroles vivantes.

Les fondamentaux
• La trame du projet est :
  - la place de la création musicale (et du son) dans la vie quotidienne,
  - la place de la création radiophonique (et de la radio) dans la vie quotidienne
  - la place de la vie quotidienne dans la création musicale et radiophonique !!
• De la vie quotidienne, nous choisisons en premier lieu (et de façon non exclusive) les aspects collectifs : les efforts et les luttes pour le maintien de cette unité collective, la recherche des biens et des services publics, d’une vie commune utopique…

• Un des champs emblématiques et métaphoriques du service public (aujourd’hui en phase de démantèlement) est la communication physique entre les individus, incarné par La Poste. Ce secteur professionnel est aujourd’hui en lutte, sa remise en cause représente pour tous un danger.

• Le croisement entre cette lutte et l’outil radiophonique d’une part, la création musicale d’autre part, est le point de départ du projet : l’acte de création est une lutte et cela est potentiellement réciproque. Ceux et celles qui travaillent à la circulation des mots d’amour, des poésies, des factures, des messages, des livres et magazines, des nouvelles, des images, des sons et des objets entre les individus, participent de la circulation des idées, d’une idée de la démocratie.
Il s’agit ici par la lutte de faire œuvre et par l’acte artistique de nourrir la lutte. En participant à générer un acte collectif, la création invoque la dimension publique de ce combat singulier.

• Le projet investit des espaces divers et contrastés de la ville, touchant des populations, des fonctions, des institutions hétérogènes, autour de cet unique thème. Celui-ci devient un lieu de travail, de pensée et d’éclairement pluridisciplinaire. Il met au cœur de la production les salariés de la Poste mais également et éventuellement diverses populations : une classe, des habitants d’une même cage d’escalier, des musiciens locaux, professionnels et amateurs, des personnes âgées, des étudiants du conservatoire…

• La production radiophonique est investie comme espace de résistance, à la fois esthétique, sensible, cognitif, économique… un lieu de l’urgence où se transmet dans un temps propre (très lentement le cas échéant) ce que l’on n’entend pas autrement. En écho à la fonction essentielle qu’a pu occuper la radio pendant la seconde guerre mondiale, ou de manière plus contemporaine la radio indépendante B92 en Serbie pendant la guerre en ex-Yougoslavie, il s’agit d’interpeller le radiophonique comme lieu de codage et de décryptage, lieu d’émission à réceptions multiples et par là même lieu et instrument de la création, la part d’invention et d’expérience sensible étant ici motrice (matrice).

 
Les actions

Etape 1 : mémoire
Réalisation d’une mémoire sonore des locaux de travail de la Poste (Tri postal, distribution, recettes principales…) et constitution d’une mémoire sonore du monde du travail.
Il s’agit ici de rendre hommage aux sons et aux ambiances, de les rendre audibles et parlantes, de témoigner de leur culture (les bruits ne nous échappent, ils nous expriment), de les écouter avant de créer nous-mêmes et de donner à écouter les nôtres.

Etape 2 : ateliers
Mise en oeuvre d’ateliers divers, les uns au sein de la Poste, les autres en lien avec des populations choisies : ateliers d’écoutes graphiques avec les enfants (des sons diffusés par la radio sont la base d’élaborations d’un langage graphique, que les enfants envoient ensuite par courrier postal), ateliers de création à partir des sons enregistrés à la poste et diffusés par elle (lettres sonores), travail vocal autour de la notion de message, de correspondance, d’appel, de nouvelle, jeux des correspondances entre le son, le dessin, et la ville, qui devient peu à peu lieu de correspondance, expérimentation d’une radio/correspondance, permettant de transmettre un message collectif (et non plus interpersonnel) à des auditeurs en capacité de répondre, par le même canal ou par d’autres voies (recherche d’autres espaces publics…), travail théorique sur la notion d’enveloppe : l’habit du son (enveloppe du son = attaque – entretien – chute), l’habit du message (modalités de format déterminant les pliures), la forme d’un objet (premier pas du graphisme), etc…
  - Ces ateliers utilisent l’activité quotidienne de la Poste, des postiers et agents : d’une part comme acteurs participants, la Poste devenant un lieu d’intervention culturelle (comme un autre), d’autre part comme salariés en questionnement (actions salariales à accompagner), enfin comme outil de transmission et comme mécanique de lien matériel, technique et social.
  - Cette matière sonore, linguistique et graphique est par la suite revisitée comme “ matière à concert ” pour la composition finale.

Etape 3 : émissions radiophoniques
Dans le cours de la résidence, plusieurs actions apparaissent, qui vont de la rue aux maisons, du studio de radio au centre de tri, d’une école à une action musicale, d’un studio de mixage ou d’une salle de répétition à des boites à lettres sonores (les boites à lettres jaunes ne servent plus à collecter les lettres que l’on poste mais à distribuer des lettres à qui les veut, des lettres qui s’adressent à tous !).
Plutôt qu’un comité de pilotage tel que traditionnellement entendu, le plateau radiophonique est ponctuellement le lieu de théorisation du projet, sorte de relais entre les différentes étapes artistiques et militantes du dispositif.
Il réunit aux côtés de l’artiste des regards et écoutes divers , un historien, un philosophe…

Etape 4 : concert
La résidence (on parle ici de résidence collective, de nouvelles façons de résider ensemble et pas seulement de la présence de l’artiste sur le sol du projet) s’achève par la création d’une pièce musicale et sonore dont la matière est notamment issue des différentes étapes précédentes et dont les interprètes sont les acteurs-passeurs rencontrés au cours de tout le temps du dispositif. La radio en est le principal instrument.
On avait rêvé de développer avec le GMEM un logiciel de tri sonore, qui permette la déconstruction du langage et sa distribution spatialisée manuelle ( !) en temps réel.

 

 
 

 

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